LETTRES DU HAVRE
Arie Lenoir

QU’EST CE QU’UN BON LIVRE??

Lundi 30 juillet 2012, six heures du matin. Je suis assis, seul, dans notre imprimerie en train d’écrire ce texte. Que m’inspire ce livre Lettres du Havre aux Editions Non Standard ? Devant moi, un gros classeur contenant 98% des pages finalisées, plusieurs maquettes en blanc, un premier concept du coffret et une quantité considérable d’équations. J’ai lu une grande partie des lettres et consciencieusement consulté les doubles-pages de photographies commentées.

Les lettres imaginaires ont été une grande surprise. Bien que mon niveau de français se limite à mes années au lycée et à mes vacances en France et que les subtiles nuances des textes m’ont sans aucun doute échappé, chaque lettre m’a ouvert un monde où l’émetteur et le destinataire sont les acteurs principaux. L’émetteur est à tour de rôle aigri ou triste, parfois cynique ou méchant, parfois chaleureux et plein d’amour ou rempli des meilleures intentions. J’ai constamment eu l’impression de m’immiscer dans le monde des deux protagonistes. J’ai presque le sentiment d’être un voyeur discret et je reste fasciné par cette intrusion.

Les doubles-pages de photos commentées me permettent, de la même façon, d’avoir un regard sur Le Havre, cette ville qui m’est inconnue : un port, ce qui explique le nombre important de bateaux, la mer et le ciel. Pour moi qui suis Néerlandais, ces images me sont très familières. Pourtant presque chaque image respire quelque chose de typiquement français. Les institutions officielles ont soigneusement gardé leurs typographies classiques et bien inter-lettrées. Les petites entreprises sont sans le vouloir attendrissantes et d’autres sont moins vernies. Chocolat Auzou et Banque de France sont des enseignes vraiment françaises et les lettres du FRANCE exposées au Musée Malraux, plus hautes qu’un homme, donnent à chaque dessinateur de caractères le regret de ne pas y avoir pensé.

L’expression anglaise “form follows function” (la forme suit la fonction) résume cet ouvrage en seulement trois mots. Bien sûr que le contenu fait le livre, mais pour moi, en tant que fabricant et amateur de livres, le contenu n’est qu’un ingrédient. Pour concevoir un bon livre, son contenu doit offrir au lecteur un accès à la fois logique et clair. La forme du livre doit servir le contenu et lui apporter un plus. Et bien sûr, le livre doit être techniquement irréprochable. Est-ce le cas de Lettres du Havre ?

La dernière maquette en blanc est tout simplement parfaite. Les pages s’ouvrent en souplesse, quel que soit le papier utilisé et leur format, malgré la colle rigide qui doit être utilisée pour donner au livre sa robustesse. Le dos en lin, le volume des 804 pages et la couverture en carton en font un vrai livre. Pour ce qui est du coffret, je dois encore finaliser sa conception, mais, sans aucun doute, il ne pourra que conforter mon impression. En ce qui concerne la qualité de l’impression, je ne me fais aucun souci, cette partie est pleinement sous contrôle. Le designer a créé un concept de livre très clair et a fait le juste choix des papiers. Le relieur a assuré une prestation exceptionnelle au niveau des finitions. Cet ouvrage sera un livre d’excellence.

Pour moi, un livre est bien plus que la somme de son contenu (texte et image) et de sa forme (concept, papier, impression, reliure). Un bon livre est le résultat des fascinations des auteurs, qui bien souvent ont consacré des années de labeur à rassembler leur connaissance pour la mettre dans le contenu de la publication. Ces longues années de travail seront ensuite conjuguées avec les savoir-faire des spécialistes, tous passionnés : les designers, écrivains, photographes, imprimeurs, relieurs.

Les passionnés de leur art sont souvent des gens très heureux. C’est un vrai plaisir de créer des beaux livres ensemble. À mes yeux, dans certains cas, on peut parler d’art appliqué. Le concept d’Elodie, les textes de Jean, additionnés aux choix et au design de Patrick, les papiers de fabricants venant de l’Europe entière, l’impression et la reliure réalisées aux Pays-Bas : tout ceci est rassemblé dans le livre que vous avez entre les mains. Tout dans cet ouvrage respire l’attention passionnée, les soins minutieux qui lui ont été apportés. La barre de mes attentes se situe au plus haut niveau : ce livre est fait par des passionnés pour des passionnés. C’est maintenant à vous de vous faire une opinion. J’espère que tous nos efforts vous amèneront à déclarer : Lettres du Havre est un livre exceptionnel.

Arie Lenoir est né en 1951, il vit à Amsterdam.
En collaboration avec Ron Schuring et Stefano van der Knaap,
il dirige LenoirSchuring, un studio-imprimerie pour les designers.
Il est membre de plusieurs fondations et comités actifs
dans le monde des arts graphiques.